Témoignage d’Auguste


Lors du séisme d’Agadir, nous avions deux enfants âgés de 3 et 6 ans. J’étais gendarme au Poste Prévôtal d’Agadir. L’effectif était de 3 gradés et 12 gendarmes. Nous habitions au 7ème étage de l’Immeuble Consulaire. En raison d’une compression de l’effectif, vers le 20 Décembre, on a regroupé 5 gendarmes dans l’immeuble Hadj-Brahim, près du pont de Tildit, à l’angle de la rue de Talborg et de la route du cimetière. Nous occupions un logement au 2ème étage.

Le 29 Février, vers minuit, la terre s’est mise à trembler.

Elle avait déjà tremblé la semaine précédente mais celà ne nous avait pas trop inquiété. Par contre, vers midi, ce lundi 29 Février, une secousse plus forte se produisit : des meubles furent déplacés, un cadre au mur tourna sur lui-même. Une de nos voisines, femme de médecin, se précipita dans la rue appelant les occupants de l’immeuble à sortir. Ma femme, Josée, était enceinte de cinq mois et vivait difficilement sa grossesse : elle devait rester au repos. Quand, le soir, je lui rapportai les dires d’un collègue, préconisant à chacun de préparer une valise avec ses biens les plus précieux (au cas où !!!), elle me répondit : »On n’en fera rien, je préfère mourir ici que vivre dans l’angoisse ! ». Le soir, une voisine vint l’aider à confectionner un habit de cow-boy pour mon fils Pascal : le lendemain, on devait fêter le Mardi Gras et les enfants devaient se rendre en classe déguisés !

Nous dormions quand, vers 23h50/55, nous fûmes réveillés par de fortes secousses.

Impossible de se lever tant l’immeuble tremblait : il fallait s’accrocher au lit. Enfin, après de longues secondes, tout s’arrêta. J’ouvris alors la fenêtre et entendis des hurlements et des gens crier « sauvez-vous ! ». Soudain, ce fut un bruit sourd, une déflagration, venant de la ville nouvelle. Il semble qu’il s’agissait de l’explosion de bouteilles de gaz. Mon épouse et mes enfants descendirent dans l’obscurité, difficilement, les marches s’étaient déformées. Les escaliers, érigés à l’extérieur, se sont décollés de l’immeuble. Moi, je traînais, cherchant les clés de la voiture. Dehors, tout le monde hurlait « vite, vite !!! ». Tous les occupants de l’immeuble sont sortis vivants. Un gendarme se retrouva nu dans la rue.

Les tuyauteries ayant cédé, l’eau coulait de toutes parts. L’électricité était coupée.

Les familles rejoignirent comme elles le purent le poste Prévôtal, situé à côté d’une caserne de militaires marocains. La circulation était très difficile. Des gravats obstruaient certaines rues. Le pont près de notre immeuble était recouvert d’eau. J’hésitai à l’emprunter craignant qu’il ne soit coupé. Survinrent alors des pompiers qui le traversèrent à toute allure. Nous les suivîmes pour atteindre enfin la Prévôté. Nous étions tous vivants, nous, mais les autres …

Un car de la B.A.N. (Base Aéronavale) faisait déjà la navette pour conduire les rescapés à la base navale. La prévôté rejoignit la base en voiture. Avec le recul, nous nous posons encore la question : « Que serions-nous devenus si la base avait été détruite ? ».

Nous sommes stupéfaits de voir un hangar de la base rempli déjà de lits de camp et des jeunes marins distribuer des boissons, jus de fruit, lait et biberons… Quelle organisation et quelle solidarité !

Le 2 Mars à midi, mon épouse et mes enfants déjeunent au réfectoire de la base ; je revois Philippe, mon garçon de 3 ans, un steak dans une main et une poignée de frites dans l’autre. Vraiment la marine a été extraordinaire ! C’est ce soir-là que ma femme et mes enfants ont pris l’avion pour la France.

C’était un avion anglais, sans sièges : ils étaient assis à même le sol. Ils débarquèrent à Istres et prirent la direction de Marseille en car. Ma femme avait juste assez d’argent pour prendre le train Marseille-Brest. « Si vous n’avez pas d’argent, vous ne mangerez pas, leur a-t-on dit à la maison de l’Armée ». Heureusement, à Lyon, on leur procura de la nourriture. La solidarité commençait à se mettre en place en France et, à Paris, des marins les attendaient pour les transporter à la gare Montparnasse. Ils arrivèrent enfin à Brest, surprenant la famille par leur tenue : en ce début Mars, ils étaient en vêtements d’été, ceux que nous portions au Maroc …

Pendant ce temps-là, je restais affecté à Agadir pour aider les secours. Dès la première nuit, nous fûmes mis à la disposition de la Gendarmerie Maritime. Nous assurions la circulation à l’entrée de la base : la circulation était libre pour tous, civils et militaires. Je reçus une remarque d’un officier, venu de Marrakech après le séisme, à propos de mon absence de cravate !

Avant la fin de la première nuit, sans rien dire, je suis retourné dans mon logement pour chercher de l’argent et quelques vêtements. C’était risqué. Notre immeuble n’était pas tombé, mais il avait quand même penché. Je suis allé jusqu’à l’immeuble Consulaire. Quelle horreur ! Il n’y avait plus que des dalles de béton superposées. Il y régnait un silence lourd. Nos amis Coéffic et leurs deux enfants habitaient là. Ils étaient venus nous voir la semaine précédente. On avait déjà ressenti quelques secousses et lui disait : »Si çà tremble une autre fois, je deviens fou !!! ».

Dans un premier temps, les gens, les curieux et les autres, entraient en ville comme ils voulaient. Nous faisions des patrouilles, surtout dans la ville nouvelle. On voyait des personnes fouiller dans les décombres ; qui ou que cherchaient-ils ? D’autres dormaient sur les gravats, désemparés. Ils étaient évidemment incontrôlables, n’ayant pas de pièces d’identité.

Le 1er Mars, au matin, des appareils photo jonchaient les trottoirs. La fouille des commerces était facile. Que les immeubles soient écroulés ou non, ils ne restaient plus de vitrines entières.

Une nuit, en patrouille, nous avons aperçu des lumières au loin dans la nature. Nous nous sommes approchés. Des bulldozers creusaient des tranchées : c’étaient des fosses communes. Je crois que c’est au cours de cette même nuit que je vis un camion à ridelles, non bâché, transporter des cadavres pêle-mêle …

De jour, dans un premier temps, nous donnions suite à des messages venant de France ou d’ailleurs. On se rendait à l’adresse indiquée … quand on découvrait la rue. On mentionnait l’état de l’immeuble, du logement ou de la villa. Au bout de quelques temps, visiter le quartier du Talborg devenait insupportable. Certains ne résistaient plus à l’odeur des cadavres …

En service, nous avons rencontré un jeune homme de L’EDF que nous connaissions. Il était au sommet d’un poteau. « Que faîtes-vous là ? – La vie continue : j’ai perdu ma femme et mon enfant mais il faut rétablir le courant en ville. »

La marine avait monté des tentes à la base, le long d’une haie. Derrière cette clôture, un homme erra pendant plusieurs jours, parlant et chantant des heures entières.

Je régulais la circulation à l’entrée de la base, le service normal d’entrée était alors rétabli. J’ai voulu contrôler une dame au volant d’une Citroën. Elle me répondit aussitôt : »De toute façon, je rentre. Le corps de mon mari est sur la banquette arrière. Je veux l’enterrer à l’intérieur de la base française ! ».

Ce qui était également lugubre, c’était de voir pendant des semaines des draps noués les uns aux autres accrochés aux balcons, les escaliers étant impraticables. La terre tremblait très souvent, surtout les premières semaines, puis le phénomène se raréfiait et les secousses diminuaient d’intensité. La dernière que j’ai ressentie fut le 14 Juillet, avant le défilé des marins sur la base.

Je quittai Agadir fin Juillet.

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